Du coup, la schizophrénie, c’est quoi ?

Un joli paysage de montagne, c'est mieux qu'une photo stigmatisante de schizophrénie
Un joli paysage de montagne, c’est mieux qu’une photo stigmatisante de schizophrénie

1. Qu’est-ce que la schizophrénie ?

C’est tellement moins fun, exotique, effrayant que l’imaginaire populaire et les médias nous laissent croire (cf. article sur les idées reçues autour de la schizophrénie) que j’ai peur qu’à la lecture de cet article vous vous disiez : « Quoi ? C’est tout ?!? Même pas un petit peu d’ésotérisme ? Même pas un petit peu de frayeur ? » Et oui ! La schizophrénie, c’est moins fou-fou qu’on ne le pense. Une des meilleures façons de bien vivre avec l’autre et de le destigmatiser, c’est d’avoir une compréhension réaliste de ce qu’il peut vivre. Alors, c’est parti !

Qu’est-ce que le diagnostic de schizophrénie décrit dans le DSM5 ? (genre de dictionnaire qui donne les critères permettant de poser des diagnostics. Il est basé sur l’état de la recherche.)

La schizophrénie est une maladie qui fait partie de la famille des psychoses et qui comporte de nombreux signes possible. C’est un syndrome cliniquement hétérogène qui peut prendre des formes différentes chez chaque individu. Aucun signe n’est ce qu’on appelle pathognomonique, c’est-à-dire n’est spécifique à la maladie schizophrénie. Mais pour parler de schizophrénie, il faut qu’il y en ait au moins 2 parmi les 5 suivants :

Idées délirantes, hallucinations, pensée désorganisée (discours), comportement moteur grossièrement désorganisé ou anormal (incluant la catatonie) et symptômes négatifs.

Il faut aussi que :

  • ça impacte négativement le fonctionnement de la personne dans un domaine majeur (travail, relations sociales, hygiène corporelle, scolaire…), [oui. Ce n’est pas juste une petite difficulté comme ça, il faut qu’il y ait un retentissement négatif important dans la vie de la personne]
  • ça dure au moins 6 mois (lorsque la personne n’a pas de traitement, moins si elle a un traitement), [si c’est plus court, il faut chercher ailleurs la source du problème de la personne]
  • l’on ait éliminé que ce que l’on voyait n’était pas en fait, un autre trouble qui peut ressembler, [il y a plusieurs troubles qui peuvent ressembler, il faut vérifier les choses]
  • ça ne soit pas provoqué par autre chose (drogue, médicament ou autre maladie) [Pareil, on vérifie. Il est important que l’on ne se trompe pas de cible]
  • s’il y a eu des antécédents de trouble autistique, on n’ajoutera le diagnostic schizophrénie que s’il y a présence de symptômes hallucinatoires et délirants importants, en plus des autres symptômes de schizophrénie nécessaires au diagnostic.

Reprenons dans le détail les symptômes principaux :

Pour parler de schizophrénie, il faut au moins deux signes parmi les 5 cités et il est obligatoire que l’un d’entre eux soit des idées délirantes, des hallucinations ou une pensée désorganisée.

1.1 Idées délirantes

Ma mère soutient que ses pensées sont enregistrées et écoutées par des personnes qui pourraient la mettre en prison, tant ses pensées sont perçues comme inappropriées ou choquantes. Ça la terrifie et la tyrannise.

Les idées délirantes sont « des croyances figées qui ne changent pas face à des évidences qui les contredisent. Leur contenu peut comprendre divers thèmes (p. ex. thème de persécution, thème de référence, thème somatique, thème religieux, thème mégalomaniaque). »

Ça, c’est le côté qui donne une impression WTF, une impression qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Ça laisse nous laisse perplexe, voire nous surprend carrément (On expliquera plus loin pourquoi ça peut arriver).

1.2 Les hallucinations

Mon fils entend presque toute la journée des voix l’insulter, lui dire à quel point il est un monstre.

Ma sœur voit des ombres menaçantes.

Les hallucinations sont « des expériences de type perceptif qui surviennent sans stimulus externe. Elles sont saisissantes et claires, avec la force et l’impact des perceptions normales, et elles ne sont pas sous le contrôle de la volonté. » Il est possible d’avoir ces perceptions erronées avec chacun de nos sens : auditif (on entend du bruit, de la musique ou des voix), la vue (on voit des formes, des ombres, des objets, des personnes), le goût, l’odorat, les sensations corporelles (on ressent des choses dans notre corps).

Les hallucinations auditives sont les plus fréquentes dans la schizophrénie et les troubles apparentés. Les hallucinations pathologiques de la schizophrénie sont à différencier de celles qui apparaissent pendant l’endormissement (hypnagogiques) ou au réveil (hypnopompiques) qui sont considérées comme faisant partie de la gamme des expériences normales et des hallucinations qui peuvent faire partie d’une expérience religieuse normale dans certains contextes culturels.

Les hallucinations sont réellement perçues par la personne. On a objectivé les hallucinations en IRM fonctionnelle. Les zones cérébrales qui s’occupent de percevoir les sons, les sensations sont réellement activées lors des épisodes hallucinatoires. La personne qui souffre de schizophrénie ne fait pas semblant. Oui. Je sais. Ça peut vous paraître fou, mais tout s’explique. Rien d’incroyable.

Principaux types d'hallucinations et d'idées délirantes dans la schizophrénie et troubles apparentés par Igor thiriez
Principaux types d’hallucinations et d’idées délirantes dans la schizophrénie et troubles apparentés par Igor Thiriez

1.3 La pensée désorganisée (discours)

A certains moments, mon mari saute du coq à l’âne. Son discours n’a plus aucun sens. Parfois il crée des mots qui ne veulent rien dire. C’est très étrange et inquiétant.

La pensée désorganisée (trouble du cours de la pensée) est évaluée à partir du discours de la personne. Celle-ci peut ainsi passer d’un sujet à l’autre (déraillement ou relâchement des associations). Les réponses peuvent être reliées de manière indirecte aux questions ou ne pas y être reliées du tout (pensée tangentielle). Dans les cas extrêmes, le discours peut être si gravement désorganisé qu’il est pratiquement ou totalement incompréhensible (incohérence ou « salade de mots »).

Cela arrive à tout le monde de ne pas être clair dans son discours, de se perdre dans ce que l’on veut dire. Pour valider ce critère, il est nécessaire que le discours soit désorganisé de manière suffisante pour altérer l’efficacité de la communication.

Ça peut être très surprenant pour l’extérieur, mais n’oubliez pas que la personne n’est pas devenue idiote ou autre. Pas de jugement hâtif.

1.4 Le comportement moteur anormal ou grossièrement désorganisé (incluant la catatonie)

Parfois mon père s’agite comme s’il voulait faire des choses, mais ça va dans tous les sens et rien n’aboutit. Il va dans une pièce en ressort presque immédiatement, sort des objets, les abandonne ailleurs. Finalement, il n’a rien fait alors qu’il s’agite dans tous les sens.

Le comportement moteur anormal ou grossièrement désorganisé peut avoir diverses expressions, allant d’une sous-activité motrice à une agitation imprévisible. « Des problèmes peuvent être relevés dans toute forme de comportement dirigé vers un but, conduisant à des difficultés à réaliser les activités de la vie quotidienne. Le comportement catatonique correspond à une réactivité à l’environnement très diminuée. Cela va de la résistance aux instructions (négativisme) au maintien d’une posture rigide, inappropriée ou bizarre et à l’absence totale de réponse verbale ou motrice (mutisme ou stupeur). Cela peut aussi inclure une activité motrice sans but et excessive sans cause évidente (agitation catatonique). D’autres caractéristiques sont constituées par des mouvements stéréotypés, la fixité du regard, les grimacements, le mutisme et l’écholalie (répétition de ce qui est entendu). »

Là aussi, ces états peuvent être assez inattendus pour les proches. Si, par exemple, on retrouve la personne exactement là où on l’a laissé plusieurs heures avant ce n’est pas parce qu’elle est devenue faignante.

1.5 Symptômes négatifs

Ma fille semble ne pas ressentir d’émotion. Elle ne semble pas touchée par les évènements, comme si elle s’en foutait de tout. C’est très étrange et désagréable pour nous d’avoir cette impression.

Les symptômes négatifs ne veulent pas dire péjoratif, mais improductif, des choses que l’on fait « en moins » par opposition aux symptômes positifs (productifs, des choses que l’on a « en plus » : hallucinations, idées délirantes…).

Deux symptômes négatifs sont particulièrement fréquents dans la schizophrénie : la diminution de l’expression émotionnelle et l’aboulie. La diminution de l’expression émotionnelle ou émoussement affectif comprend « la réduction de l’expression émotionnelle du visage, du contact visuel, de l’intonation du discours (prosodie) et des mouvements des mains, de la tête et du visage qui transmettent les accents émotionnels du discours. » Cela peut donner le sentiment que la personne s’en fout, mais ce n’est pas nécessairement le cas. La personne peut être elle-même perplexe de moins ressentir les émotions. (Vous pouvez lire cet article sur comment bien vivre en couple avec une personne qui souffre d’émoussement affectif)

L’aboulie se manifeste « par une diminution de la motivation pour des activités auto-initiées et dirigées vers un but. L’individu peut rester assis pendant de longues périodes de temps et montrer peu d’intérêt pour la participation aux activités professionnelles ou sociales. » Alors, non. La personne n’est pas devenue faignante ! On peut comprendre que l’on puisse s’imaginer cela lorsque l’on voit une personne rester inactive malgré les sollicitations. Mais non. Ce n’est pas une personne faignante. C’est souvent extrêmement pénible pour la personne lorsqu’elle souffre d’aboulie. Elle voudrait bien pouvoir faire les choses mais n’y arrive pas. Elle n’arrive pas à démarrer les actions. C’est comme si elle n’avait pas le starter. Pff… L’horreur, pour les personnes. Les autres symptômes négatifs comprennent l’alogie, l’anhédonie et l’asociabilité. L’alogie se manifeste « par une diminution de la production du discours. » L’anhédonie est « une diminution des capacités à éprouver du plaisir à partir de stimuli positifs ou à se rappeler de plaisirs antérieurement éprouvés. » L’asociabilité fait référence « au manque d’intérêt pour les interactions sociales et peut être associée à l’aboulie, mais peut aussi être une manifestation d’une diminution des opportunités d’interactions sociales. »

Ces symptômes négatifs peuvent faire penser à la dépression, mais s’en distinguent. Pour en savoir plus sur la distinction dépression/schizophrénie, cliquez ici.

Principaux symptômes négatifs dans la schizophrénie et troubles apparentés par Igor Thiriez
Principaux symptômes négatifs dans la schizophrénie et troubles apparentés par Igor Thiriez

2. Les autres difficultés des personnes souffrant de schizophrénies

Bon. Tout ça c’est le minimum pour poser le diagnostic, mais leur galère ne s’arrête pas là, malheureusement. Les personnes souffrant de schizophrénie peuvent avoir d’autres difficultés encore. D’autres « petits cadeaux » qui rendent leur vie difficile…

2.1 Théorie de l’esprit

Elles peuvent éprouver des difficultés à comprendre les autres, leurs intentions, les sous-entendus… On parle de difficulté de théorie de l’esprit (difficulté à avoir une représentation de ce qu’il se passe dans l’esprit de l’autre). (Bora et al. 2009)

2.2 Troubles neuropsychologiques

Elles peuvent aussi avoir des troubles neuropsychologiques (déficits cognitifs). On en a déjà parlé dans le précédent article, il peut s’agir de problèmes de mémoire, de concentration (attention), de planification, de ralentissement de la vitesse de traitement. Ces difficultés, si elles existent, peuvent impacter négativement le domaine professionnel ou scolaires.

2.3 Affects inappropriés

Les personnes souffrant de schizophrénie peuvent présenter des affects inappropriés (p. ex. des rires immotivés), une humeur dysphorique qui peut prendre la forme d’une dépression, d’un état anxieux ou de colères, un trouble des rythmes du sommeil (p. ex. sommeil diurne et activité nocturne) et un manque d’intérêt pour la nourriture, ou un refus de manger.

2.4 Dépersonnalisation et déréalisation

Dépersonnalisation (impression de ne pas être soi-même), déréalisation (impression que l’environnement est irréel) et préoccupations somatiques peuvent aussi survenir, prenant parfois des proportions délirantes.

2.5 Pathologies fréquemment associées à la schizophrénie

De plus, comme la vie est injuste, d’autres pathologies se surajoutent couramment : anxiété, phobies et dépression. Parfois des toxiques ou l’alcool sont utilisés pour tenter de calmer les angoisses et peuvent malheureusement entrainer d’autres problèmes.

2.6 Défaut d’insight

Certaines personnes souffrant de psychose peuvent manquer d’insight ou de conscience de leur maladie (c.-à-d. une anosognosie). Selon le DSM 5, « ce manque d’insight signifie une méconnaissance des symptômes de la schizophrénie et peut être présent pendant toute la durée de la maladie. La méconnaissance de la maladie est typiquement un symptôme de la schizophrénie elle-même, plutôt qu’une stratégie de défense (déni). Elle est comparable à l’absence de conscience des déficits neurologiques après une lésion cérébrale, appelée anosognosie. » Personnellement, je ne l’ai jamais vu persister avec un traitement adapté et une information claire (Mais je n’ai pas tout vu).

2.7 Violence et agressivité dans la schizophrénie

Comme nous l’avons vu dans le précédent article, hostilité et agression peuvent être présentes dans la maladie schizophrénie, même si les agressions volontaires ou fortuites sont rares. S’il y en a, les agressions sont plus fréquentes chez les hommes jeunes et chez les personnes qui ont des antécédents de violence, de non-adhésion au traitement, d’abus de substances et d’impulsivité (Elbogen et Johnson 2009). Il faut souligner que l’immense majorité des personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas agressives et qu’elles sont plus souvent des victimes de violences comparativement à la population générale (Teplin et al. 2005).

3. Combien de personnes sont concernées par la schizophrénie ?

Il s’agit d’une pathologie relativement fréquente : la prévalence sur la vie entière de la schizophrénie est d’environ 0,3 à 0,7 % (Mc-Grath et al. 2008). Ainsi, elle concernerait 200 000 personnes en France selon l’Inserm.

4. Conclusion

Piou… tout ça fait pas mal de difficultés possible dans les domaines des perceptions, de la pensée, de la communication. Heureusement, je le répète, les personnes souffrant de schizophrénie n’ont pas nécessairement la totalité des difficultés décrites plus haut. Mais celles présentes, sans traitement adapté, peuvent être handicapantes pour la personne. Lorsque la personne bénéficie de traitements adaptés (je ne parle pas que de médicament), la personne peut être soulagée de beaucoup de ces limitations et développer une vie riche et pleine (mais on y reviendra).

Oui, je sais que je vous avais dit que vous vous diriez « quoi ? Mais c’est seulement ça la schizophrénie ? » et que là vous devez vous sentir sous le poids de la liste de toutes les difficultés possible (rappelez-vous les personnes n’ont pas toute la liste et vivent les choses à des intensités variables). Pour ce qui est de vous dire « c’est juste ça ? ». On y vient. Le prochain article précisera ce que l’on sait de l’origine de cette pathologie psychotique et des mécanismes qui la sous-tendent.

Références :

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7 Replies to “Du coup, la schizophrénie, c’est quoi ?”

  1. Merci pour cet article qui récapitule bien le tableau clinique de la schizophrénie tel qu’on le connaît par le DSM. J’ai hâte de lire vos prochains articles car ce que j’apprécie c’est de découvrir de nouvelles manières d’appréhender la maladie, d’en comprendre l’origine, de lire ses manifestations différemment, etc… C’est tellement important de comprendre de quels maux souffrent intérieurement les personnes atteintes. Ça aide la famille et les proches à mieux tenter d’adapter leur accompagnement. Allez-vous parler de l’approche systémique de ce trouble ? belle continuation à vous !

  2. Godexe Meuste dit : Répondre

    Merci beaucoup pour cet article !!
    En tant qu’étudiant en psychologie, il m’a été très utile comme fiche de révision pour mes examens.
    C’est aussi une ressource à partager à tous les proches de personnes atteintes de schizophrénie.

  3. Merci beaucoup pour cet article très clair qui est utile aussi bien pour les patients eux-mêmes, pour leurs proches mais également pour les professionnels de santé, une piqure de rappel ne faisant pas de mal 😉

    1. Avec plaisir ! Oui ! Les professionnels sont les bienvenus ici. Merci de votre retour.

  4. nathalie dit : Répondre

    merci pour cette recap tres claire… je ne trouve nulle part le symptôme du prendre soin de soi (tout ce qui est de la perception de soi et de son environnement immediat (proprete de l’habitat par exemple) alors que c’est vraiment un des aspects les plus durs pour les proches parfois meme si cela peut sembler un detail.

    1. Bonjour Nathalie,
      J’imagine que vous faites référence aux difficultés à gérer l’hygiène corporelle et de l’habitat que peuvent avoir certaines personnes avec schizophrénie.
      Ça peut être un réel problème, comme vous le soulignez.
      Il ne s’agit pas de ce qu’on appelle des symptômes, mais il s’agit vraisemblablement des conséquences de ceux-ci.
      Si j’ai des difficultés de volonté à agir (je veux faire des choses, mais je n’ai pas de démarreur, je ne peux pas m’y mettre), si j’ai des difficultés pour planifier mes actions (les organiser), si on ajoute la fatigue liée à certains médicaments, je peux avoir de grosses difficultés pour réaliser mon ménage, mes courses, la cuisine, me doucher. Tout ça peut devenir extrêmement compliqué, voire irréalisable par moment.
      Ce n’est pas de la mauvaise volonté des personnes malades.
      Vous pourrez lire dans l’article suivant sur les traitements, qu’il existe des choses pour aider ces difficultés de planification et d’aboulie (de la remédiation cognitive par exemple). Mais il faut rester compréhensif, ça peut être très difficile pour les personnes.

  5. Voynich dit : Répondre

    Merci pour cet article, au top, comme le reste ! 😉

    Concerné, je me demande si la question de l’hallucination a déjà été étudiée sous un angle non aristotélicien ?
    J’entends par là que les fameux 5 sens, c’est pas une vérité scientifique, mais une conception d’abord locale (d’autres cultures ont d’autres sens, tant par la nature que par le nombre) et ensuite temporelle (on trouve désormais, même dans notre référentiel, foison de versions des sens).
    Le sens de l’équilibre, la proprioception, le sens du temps qui passe… le mien, par exemple, est complètement hors-sol. Si je me fais une pause café-clope de 10 minutes, quand je reviens on me demande où j’étais. Là, je réalise que, en effet, j’ai grillé 3 ou 4 clopes, bu un litre de café, et que ça fait une bonne heure d’absence. Ou le 3 premières heures de l’après-midi me semblent durer le triple, et les 3 suivantes le quart. En faisant la même tâche tout du long, donc sans contextes influençant grandement cette perception.
    Et donc, culturellement, on néglige les autres sens. Je me dis ainsi que, peut-être, car on ne parle pas de leurs fonctionnements, certains de mes autres sens hallucinent aussi, sans que je m’en rendre compte ou que j’ai une « norme » à laquelle me comparer.

    J’ajoute aussi, sur les hallucinations, que parfois elles sont douces. J’aime être envahi d’odeurs de jasmin ou d’épices.
    Parfois elles sont neutres. Je suis en paix avec les monstres qui m’attendent au coin de la rue et marche vers eux curieux de mieux les voir.
    Je m’étendrais pas sur mes hallus auditives, qui peuvent me donner l’envie de me percer les tympans dans l’espoir de les faire taire…

    Sinon, vous prenez des collabs ? J’ai envie d’écrire un truc sur une conséquence – je ne sais si elle est courante ou non – des hallus : je conçois ma perception du monde et, de fait, les interprétations qui s’ensuivent comme étant truffée de « faux positifs ».
    Les cris de chats que je viens d’entendre n’ont peut-être pas eu lieu, le ton du boulanger n’était peut-être pas agressif. Donc mon interprétation d’inquiétude ou d’angoisse n’était peut-être pas fondée.
    Du coup, pour gérer, j’ai une sorte d’heuristique probabiliste : « les gens sont d’accord sur le fait qu’il est sympa, mes impressions précédentes valident, donc c’est probablement moi qui ai mal perçu ».
    Mais à partir du moment où j’introduis les « faux positifs », j’ai aussi les « faux négatifs ». J’entends qu’on m’appelle, ou je sens de l’hostilité dans le regard de cette personne que je croise. Heuristique : « pas de raison pour qu’on m’appelle à ce moment ; c’est une mini hallu ». « C’est juste quelqu’un qui a le regard attiré par mon mouvement ; c’est une petite angoisse parano ».
    Et, quelques secondes plus tard : « hé, pourquoi tu réponds pas ? ». Ou, plus pénible, le début d’une altercation avec l’inconnu car je n’ai pas adopté la posture, le regard, l’intonation nécessaires face à une personne agressive.
    C’est vraiment un outil qui m’aide, la gestion des perceptions en faux positifs. Ça réduit beaucoup la quantité de signaux que je prends en compte plus d’une demi-seconde et c’est très reposant : analyser activement, avec contexte, probas, confirmation de tiers si possible, c’est éreintant.
    Mais les faux négatifs, c’est dommageable, car les gens peuvent se sentir – à raison – ignorés ou je peux faire escalader très vite une situation à risque vers le pire car ne prenant pas les décisions nécessaires… Voire les mauvaises décisions, comme, il y a peu, ne pas percevoir une situation sociale oppressive comme telle (car, d’habitude « il est sympa et y’a pas de problème, donc si je ressens un truc malsain, ça vient de moi) et avoir, sans en avoir conscience, alimenté le discours de la personne, me liant ainsi avec elle contre la personne attaquée qui était avec moi. Très compliqué ensuite pour elle de me faire comprendre que j’ai eu, de fait, un comportement pourri ; très compliqué après pour moi de lui faire comprendre que je croyais juste participer à un papotage léger sans conséquence…

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